Depuis 2016, les Assises Africaines de l’intelligence économique ont lieu à Casablanca. Cet événement s’est imposé comme le rendez-vous incontournable de la communauté de l’IE sur le continent et rassemble tous les ans plus de 150 personnes avec la participation de figures emblématiques de la veille et de l’IE.
L’intelligence économique se développe sur le continent africain depuis les années 2010. L’état des lieux des initiatives locales en intelligence économique, qui a été initié en 2016 lors des premières Assises africaines de l’intelligence économique, s’est poursuivi avec l’analyse de l’évolution des situations en Algérie, en Côte d’Ivoire, au Maroc, au Sénégal, au Tchad et en Tunisie durant les deuxièmes assises de 2017. De nouvelles initiatives mises en place en Guinée, à Madagascar et au Bénin ont également été étudiées, ainsi qu’un retour d’expérience de la Banque Ouest Africaine de Développement qui a intégré une démarche d’intelligence économique dans sa stratégie de développement.
Quel rôle doit jouer l’intelligence économique en Afrique ?
L’Afrique est une terre pleine de promesses qui se caractérise par son incroyable richesse en ressource naturelle et humaine, elle est la deuxième région à plus forte croissance économique au monde derrière l’Asie du Sud et elle sera le continent le plus peuplé en 2050. On assiste aujourd’hui à une ruée sur l’Afrique de la part de tous les continents. Mais cet engouement pour le contient noir se fait bien souvent à son propre détriment. Il est donc important que l’Afrique puisse tirer profit de l’intérêt que le monde a pour elle. L’intelligence économique peut aider le continent en ce sens. Vus les disparités entre les différents pays et l’existence de plusieurs Afriques, il nous paraît difficile, de faire émerger une seule vision africaine globale et commune. Mais il nous paraît nécessaire qu’il existe des modèles africains. Là encore, le continent peut se servir de l’intelligence économique pour relever les enjeux et défis qu’il aura à relever dans le futur avec des solutions concrètes inspirés des autres continents mais enracinées dans ses propres territoires et localités en tenant compte des aspects culturels et des réalités africaines.
Spécificité de l’intelligence économique africaine
Les pays africains partagent deux difficultés et freins majeurs à l’implantation d’initiatives d’intelligence économique :
- Le manque de fiabilité et de pertinence des sources d’informations officielles ; Sur le continent, les sources d’informations officielles fiables et pertinentes sont rares, parfois marquées par la non-transparence ou la corruption. Il en résulte que l’information y est difficilement accessible. Cela donne du crédit aux sources officielles d’information non africaines parfois moins légitime, voire moins bien informées.
- Le déficit d’infrastructures, notamment dans le secteur des télécommunications, rendent parfois difficile l’accès aux moyens de communication ou aux réseaux et donc à l’information. On peut également signalé une carence structurelle en terme de sécurité des accès à l’information et de sécurité des données.
L’Afrique est également marqué par l’importance des réseaux humains avec une forte tradition orale. En résulte la dépendance aux agences internationales qui sont les seules à produire de l’information visible et facilement accessible sur le continent.
Le continent doit relever le défi qui s’impose aujourd’hui à lui : produire et diffuser de la connaissance endogène. Au-delà de l’importance que cet enjeu représente, c’est aussi une nécessité si l’on veut réussir à se défendre contre le formatage et le contrôle de l’information de certains pays et organisations internationales. L’Afrique est aujourd’hui un terrain de compétition entre les états, mais seuls les référents mondiaux de l’information diffusent des analyses, études, statistiques, etc. Et ils sont pour la plupart non africains, présentant une information souvent biaisée, voire orientée. Il est essentiel de prendre conscience de la façon dont certaines sources externes d’informations rendent l’Afrique dépendante. Dans ce cas précis, on ne peut faire l’économe de citer les deux prédateurs numériques mondiaux que sont les États-Unis et la Chine. Ceux-ci dominent et envahissent le monde de l’information aussi bien au niveau du contenant que celui du contenu. C’est pourquoi l’Afrique, comme le reste du monde, a besoin de créer ses propres modèles de collecte et de diffusion d’informations. Dans la même logique, la France, l’Europe et l’Afrique doivent également s’entraider pour sortir des systèmes et organismes d’évaluations anglo-saxons qui nous appauvrissent et vont le plus souvent à l’encontre de nos intérêts.
Il ressort de ces Assises, un besoin de développer un modèle africain d’intelligence économique. Ce modèle doit certes s’inspirer de ce qui se fait en dehors du continent mais être profondément ancré dans les réalités et cultures informationnelles africaines. Peut-être que les réalités africaines nécessiteront d’imaginer plusieurs modèles répondant à des finesses plus locales pour le Maghreb, l’Afrique Subsaharienne, les pays francophones ou anglophones, etc. Les prochaines Assises en 2018, devraient donc permettre d’avancer encore pour relever ces défis et travailler ensemble pour le développement de l’intelligence économique au service du continent africain.
Pour le comité scientifique,
François JEANNE-BEYLOT,
Initiateur et Coordinateur des Assises